A compter du 1er septembre prochain, dans un nouveau cadre organisationnel, une politique d'investissement "alignée" avec ses valeurs va être expérimentée pour les fonds du Vatican. En primeur, quelques informations, à date, sur les critères préconisés et les instances réformées selon le vœu du pape François dont l’Encyclique Laudato Si séduit des générations, au-delà des cercles « catho »...
Viser une « contribution à un monde plus juste et soutenable ». Voilà un objectif cohérent avec l’Encyclique Laudato Si. Il figure en bonne place, parmi les objectifs assignés à toute future décision d'investissement, pour le compte du Vatican, dans un document émanant du Secrétariat pour l'Economie (SPE) placé sous l'autorité directe du Pape François, selon la nouvelle Constitution publiée cette année aussi.
Plus avant, dans le même document qu’a pu consulter E&I, apparaît un autre objectif primordial : investir de préférence dans des activités productives (favorisant l'"économie réelle") plutôt que spéculatives. Echo à un autre document, publié le 17 mai 2018, Oeconomicae et pecuniariae questiones : y est stigmatisée, en effet,« une mauvaise financiarisation de l’économie » qui fait « en sorte que la richesse virtuelle, principalement concentrée sur des transactions caractérisées par une intention de pure spéculation et sur des transactions à haute fréquence (high frequency trading) attire à elle des capitaux en trop grand nombre, les soustrayant ainsi aux circuits vertueux de l’économie réelle ». L’intention n’est pas anti-financière, mais de remettre la finance à sa place : un instrument au service de la Création. Et non l’inverse. Dans cette perspective, bien sûr, rendement (utile) et sécurité de la mise sont de rigueur. Mais pas seulement.
Historiquement, en matière de finance éthique rappelle Patrick Jolivet dans l’Encyclopediae Universalis, « Il s'agissait de placer les fonds de communautés religieuses conformément à leurs principes, en excluant les « actions du péché » (sin stocks) : actions des entreprises d'armement, des producteurs d'alcool, de pornographie, etc. Si cette pratique d'exclusion de certains portefeuilles d'actifs financiers existe encore actuellement, notamment dans les pays nordiques et anglo-saxons, la finance dite responsable ou éthique s'est développée dans des pays comme la France sous l'impulsion des préoccupations liées au développement durable et à la responsabilité sociale de l’entreprise » en misant aussi sur la capacité à faire « évoluer » les valeurs investies, de l’intérieur.
A date, dans le document accompagnant l’installation du nouveau Comité d’Investissement du Vatican, l’exclusion de certains secteurs et de certains véhicules n’est pas taboue. Ainsi, au rang des produits, technologies et secteurs à bannir figurent, au bas mot : la pornographie, la prostitution, le jeu ; mais aussi, l’armement, l’avortement ; et dans la même veine, les entreprises pharmaceutiques impliquées dans la production de contraceptifs et la manipulation d’embryons. Au nom du respect absolu de la vie.
Sont aussi listées des pratiques, pas vraiment exclues, mais dites « à éviter » : les investissements spéculatifs portant sur les « commodités » (matières premières minières , agricoles et énergétiques …) et dans l’industrie de l’énergie nucléaire, ainsi que dans les compagnies productrices de boissons alcoolisées.
De surcroît, il appartiendra au comité d’investissement institué dans le cadre de la nouvelle organisation administrative du Saint-Siège d’étendre éventuellement cette liste ; et aussi, d’établir la liste des pays trop peu regardants sur la corruption, le blanchiment… A proscrire de son univers d’investissement. Du moins, cet organe consultatif aura-t-il, sur cette question, voix au chapitre.
A contrario, les facteurs E,S,G prisés par les assets managers « engagés » méritent considération ! Avec cet avertissement en prime : il est nécessaire que le Comité planche sur une méthodologie destinée à vérifier l’alignement des « Best-in-class » (en tout cas, identifiés comme tels par les analystes) avec l’enseignement social de l’Eglise, et à mesurer l’impact positif, démontrable, des investissements préconisés à l'aune de l’équité et de la lutte contre le dérèglement du climat.
Les statuts de ce nouveau comité d’investissement stipulent, dès l’article premier, que la sélection et l’effectivité des choix doivent être conformes « à l’enseignement social de l’Eglise catholique et aux principes ESG », ces derniers étant chers à l’ISR et, dans une certaine mesure aussi, à la taxonomie européenne.
En revanche, pas un mot sur l’activisme ni le dialogue actionnarial dans la définition de la politique d’investissement confiée par le Secrétariat de l’Economie au comité d’investissement du Vatican !
Soulignons toutefois qu’au premier rang des principes est réaffirmé que « toute décision d’investir dans tel placement plutôt que tel autre, de préférer un secteur d’activités à un autre est toujours un choix moral et culturel ». Autrement dit, une responsabilité à exercer en son âme et conscience, de manière éclairée, comme Ethique & Investissement ne manque d'ailleurs jamais de le préciser dans ses Ateliers, formations et prises de positions depuis près de 40 ans. Autrement dit, pas comme un automate, ni un individu s’en remettant aveuglément à d’autres, y compris à de l’intelligence artificielle !
Au journaliste Phil Pullela qui a demandé au Souverain Pontife «Pensez-vous qu'il y a eu suffisamment de changements pour éviter que des scandales (…) ne se reproduisent ?». «Je crois que oui», a répondu le Saint-Père, avec «la création du Secrétariat pour l'économie avec des personnes techniques, qui comprennent, qui ne tombent pas dans les mains de “bienfaiteurs”, ou d'amis qui peuvent vous faire déraper; je crois que ce nouveau dicastère, disons, qui a tous les financements entre ses mains, est une vraie sécurité dans l'administration. Parce qu'avant l'administration était très désordonnée». Il a alors cité l'exemple d'un chef de bureau de la secrétairerie d'Etat qui devait gérer les finances mais qui, n'étant pas qualifié, cherchait, en bonne foi, des amis pour lui donner un coup de main, rapporte Reuters auquel le Pape François a accordé une interview publiée le 12/07/2022. «Mais parfois les amis n'étaient pas la bienheureuse Imelda et donc ce qui est arrivé est arrivé» (Imelda, une jeune fille du XIV e siècle qui est un exemple de pureté). Dans les scandales, comme celui lié à l’achat d’un immeuble à Londres, auquel le journaliste faisait référence, la faute était, a précisé le Pape, "l'irresponsabilité de la structure, à ce moment-là, qui a attribué la responsabilité à une bonne personne qui était là parce qu'elle avait la place qu'elle avait. Et celle-ci ne connaissait pas les choses financières et a dû demander de l'aide à l'extérieur sans contrôles suffisants de l'intérieur. L'administration manquait de maturité». » D’après l’article de l’Osservatore Romano relayant cet entretien, le Pape a conclu en rappelant que «l'idée du Secrétariat pour l'économie est venue du cardinal Pell. C’est lui qui a été le génie ».
Dans 5 ans, le dispositif donnera lieu à un "retour d’expérience". Un "Retex" attendu.
Michèle Royer
chargée de mission E&I